DOSSIER : Quelle place pour l’eSport ?

Alors que certains l’annoncent déjà comme prochaine discipline phare des JO 2024, la présence grandissante de l’eSport dans la société est plus que jamais sujette à controverse.

Phénomène de mode, véritable sport ou simple perte de temps… Les avis plus que divers abondent sur le sujet, mais quelle place donner à cette discipline aux enjeux bien réels ?

Tentons un petit tour d’horizon de l’univers eSport en cette fin 2017.

dossier focus only

L’eSport, phénomène culturel atypique

En 2017, les activités des joueurs professionnels de jeux vidéo font déjà vibrer une communauté de plus de 320 millions de fans à travers le monde*. En France, une estimation haute annonce que 4,5 millions de personnes portent un intérêt au domaine*, un chiffre impressionnant, mais encore bien loin de l’engouement dans les pays pionniers du secteurs comme la Corée ou la Chine. Véritable phénomène de société grandissant, l’eSport est aujourd’hui sur le point d’égaler des sports phares de la culture populaire.

Pour revenir aux racines du sujet clé, il faut déjà s’intéresser à la phase qui l’a précédée, et qui permet aujourd’hui au sport électronique d’être sur le devant de la scène :

La démocratisation du jeu vidéo cette dernière décennie a initié de nouvelles perspectives. L’eSport, avec son potentiel économique exceptionnel, a connu un développement plus qu’explosif ces derniers mois. Alors que le clivage générationnel et culturel reste encore bien présent sur la question des jeux vidéo, le sport électronique, apparaissant comme la partie « extrême » du domaine avec ses « hardcore gamers » en véritables idoles, rebute encore une bonne partie de l’opinion publique. Son arrivée sur le devant de la scène médiatique ces derniers mois – Canal eSport club, l’Equipe, Pixels par Le Monde, … –  surprend et laisse perplexe, parfois même parmi les adeptes de jeu vidéo plus « casuals ».

Y’aurait-il eu un emballement trop rapide autour du sujet ?

Pas forcément, car en sortant de la seule question du point de vue sur le secteur, l’eSport possède de nombreux atouts favorables à une croissance exponentielle. La principale force du secteur, c’est incontestablement sa communauté ultra-investie et elle aussi grandissante. Un véritable terrain de jeu pour les marques qui pour certaines, ont découvert un univers nouveau, avec ses nombreux codes et usages.

les psg se lance dans l'esport

Une simple « Cash-Machine » ?

Voici un volet incontournable du sujet : l’argent dans l’eSport.

De grandes marques comme Samsung ou encore SK Télécom se sont placées comme avant-gardistes en sponsorisant déjà depuis plusieurs années le secteur en Asie. Aujourd’hui, on se bouscule véritablement pour associer son nom aux plus grandes équipes sur les jeux tels que League of Legends, FIFA ou encore Counter-Strike.

Les stars liées au domaine possèdent un impact et une influence incroyables sur la communauté, et ça, les annonceurs l’ont vite compris. Équipementiers divers -Asus, DXRacer, …- , grands opérateurs -SFR, Orange, …-  mais aussi entreprises plus inattendues comme des clubs de foot avec récemment le PSG ou encore Manchester City, l’enjeu de la visibilité dans l’eSport est devenu prioritaire.

Pour donner une idée, les championnats du monde de League of Legends, qui se sont terminés au début du mois, ont sacré l’équipe Samsung Galaxy avec une audience cumulée de plus de 50 millions de spectateurs* ! Une opportunité à ne pas rater pour les marques qui n’hésitent plus à investir massivement pour atteindre cette communauté, souvent prête à dépenser des sommes conséquentes dans leur passion. Selon Newzoo, l’eSport devrait générer  660 millions de dollars en 2017, soit une croissance de 34% par rapport à l’année dernière. Mieux, il devrait représenter plus d’1,5 milliard de dollars d’ici 2020 !

Vous l’aurez compris, l’eSport en 2017, c’est avant tout des enjeux économiques monstrueux. Pour les géants des secteurs liés comme pour les nouveaux arrivants, l’objectif est d’obtenir la meilleure part de ce gâteau, quitte à changer la recette…

canal esport club

Des stratégies médiatiques en perpétuelle évolution

Les groupes médiatiques comptent bien eux aussi attirer cette communauté. Il s’agit ici d’un véritable défi : les adeptes d’eSport boudent bien souvent le schéma médiatique classique, qu’ils jugent souvent obsolète. La communauté eSport, composée majoritairement en Europe de jeunes de moins de 30 ans, préférait jusqu’alors se tourner vers des médias alternatifs spécialisés sur le web tels que O’Gaming ou encore Eclypsia. Un constat problématique pour les géants de la TV et du web, bien résolus à ne pas laisser filer ce public ces prochaines années.  À partir de ces constatations, des stratégies médiatiques ont commencé à se mettre en place, avec plus ou moins de succès…

Le monde de l’eSport évolue vite, beaucoup trop vite pour les modèles médiatiques classiques. Alors que faire ? Pour s’approcher de la communauté, il a fallut s’immiscer dans son univers en adoptant ses codes et coutumes, et c’est ici, sans rentrer dans les détails, que certains se sont cassés les dents. La stratégie qui s’est au final avérée la plus concluante, c’est l’achat et l’affiliation à des franchises et des stars du domaine à la notoriété déjà bien implantée dans le secteur. Ainsi l’année dernière, TF1 s’est offert le site Glory4Gamers, acteur principal dans le domaine des compétitions de jeux en ligne. Autre exemple, Domingo, l’un des streamers les plus influent en France, vient d’intégrer la radio NRJ pour une émission qui lui est dédiée en prime time le dimanche soir. Une technique qui a fait ses preuves, un bon moyen de se rapprocher petit à petit des tant convoités « gamers ».

Par ces procédés, les médias dits « classiques » comptent bien rabattre cette communauté atypique et les intégrer dans leur business model habituel. Une stratégie qui semble porter ses fruits, puisque, toujours selon Newzoo, on estime qu’en 2020, 84% des revenus liés  à l’eSport devraient venir des droits TV, du sponsoring et de la publicité.

Au delà de ça, il faut souligner que le web regorge de sites spécialisés à l’image du secteur : en mutation constante. Certains disparaissent, d’autres perdurent, fusionnent, explosent, … L’instabilité règne et peu d’acteurs peuvent se targuer d’êtres inamovibles. Toutefois, des structures professionnelles comme l’ESL -Electronic Sport League- ou encore différentes filiales de l’incontournable Webedia se placent comme références dans le domaine.

fan d'esport

Un modèle complexe

Si on devait représenter l’eSport par un pokémon, ce serait certainement un Grotadmorv. Sans rire, ça n’a aucun sens, et un seul paragraphe sur le sujet sera forcément insuffisant pour faire le tour de la question. Pour commencer, on peut déjà dire que vous trouverez des stars toucher plus de 2,5M de dollars annuels tandis que une grande partie des acteurs du domaine ne peut aujourd’hui pas en vivre directement ou frôle avec la précarité.

Sur les principaux jeux du secteur – League of Legends, Counter Strike, FIFA, Dota ou encore Overwatch – le principe des championnats et des compétitions internationales peut être comparable à quelques exceptions près à celui des sports classiques. On retrouve un classement, des éliminations, des titres et également un mercato haletant.

Le sport électronique s’inspire même parfois des shows proposés par des activités comme le football lorsqu’il remplit d’immenses salles et stades pour ses finales, il a dernièrement réunit 40 000 passionnés à Pékin pour l’ultime match des Worlds de League of Legends.

Pour ce qui est du reste, le simple fait que le support de jeu dépende des éditeurs de jeux vidéo rend l’activité incomparable. Le business modèle intègre nombre d’acteurs majeurs insoupçonnés, certains accumulant de nombreuses casquettes dans le secteur. Si on prend l’exemple d’une société telle que Millenium, on a une multitude d’équipes plus ou moins pros, une plateforme d’information du secteur, un des leader européen du streaming gaming et encore bien d’autres activités liées, le tout réuni sous la même bannière. Le secteur est tellement libre et les nombreux liens sont souvent obscurs, si bien qu’il est difficile de déchiffrer la nébuleuse eSport. Le secteur a rapidement concentré tellement d’enjeux qu’il apparaît presque aujourd’hui comme une jungle impitoyable, miroir d’une situation plus générale que l’on retrouve sur le net. Les projets les plus solides survivent et se développent, les autres disparaissent rapidement et tombent dans l’oubli.

La structure des équipes professionnelles varie donc du tout au tout tout comme les salaires des joueurs jouant dans un même championnat. Le secteur du jeu professionnel reste extrêmement instable, variant bien souvent en fonction des investissements plus ou moins massifs des équipementiers et sponsors. Résultat : chaque mois, des équipes se créent, d’autres se dissolvent, le tout sous l’hégémonie des grosses structures au budget plus conséquent telles que Samsung ou encore Fnatic.

Même si le modèle des sports classique tend à s’approcher de celui décrit plus haut, avec pour simple exemple la généralisation du naming de stades, championnats, voir d’équipes,… Celui de l’eSport est lui directement né dans cet environnement sur-marketisé, où de nombreux acteurs influents dictent les règles et tendances.

 

un joeur de l'equipe fnatic de cs:go

Quelle place pour l’eSport ?

Au final, l’eSport est bel est bien un phénomène de société qui à n’en plus douter va encore gagner en notoriété et influence dans les prochaines années. Inclassable, il tend à se faire sa propre place dans la société, avec ses propres codes et dispositions.

Comme tout produit de l’ère numérique, le sport électronique reste incompris d’une partie de la population. Comme tout phénomène du web, les médias tentent de se l’approprier avec plus ou moins de succès, quitte à le dénaturer. Comme tout marché grandissant, les marques s’y associent en masse sans forcément en comprendre tous les enjeux et impacts.

L’eSport est à l’image de la société qui l’a créé et vu naître, sans réelles frontières ni limites, évoluant au gré des tendances et de la demande. S’il n’a donc pas de place prédéterminée, on peut tout de même imaginer pour le sport éléctronique un futur prometteur plus stable, avec des acteurs principaux mieux identifiés et un regard moins stéréotypé de la société.

Guilhem

 

 

*N.B : Il est important de préciser qu’un grand nombre d’estimations chiffrées autour de l’eSport portent à débat. Les acteurs du secteur auraient tendance à maximiser les chiffres pour attirer encore un peu plus les investisseurs. Pour la rédaction de cet article, un soin particulier a été donné aux croisement des sources, mais certains chiffres ne sont à prendre qu’à titre indicatif, leur exactitude ne peut être garantie. 

2. Dans cet article, il n’a pas été fait référence aux paris sur les compétitions d’eSport ni aux naissantes écoles et formations d’eSport, qui même si elles avaient pu étayer la présence grandissante du sport électronique dans la société ainsi que le côté business, soulèvent de fortes discordes au sein même de la communauté des joueurs et mériteraient un article à part entière.

 

Pour aller plus loin : 

 

Les Enjeux Business Du eSport : Vers Une Professionnalisation ?

https://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/rapport-etape-esport-mars2016.pdf

http://www.afjv.com/news/7624_etude-sur-le-marche-de-l-esport-revenus-audiences.htm

http://www.clubic.com/pro/actualite-e-business/actualite-794886-sport.html

http://www.cofacerating.fr/lesports-chiffres-2017-ascension-fulgurante.coface

 

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2 Commentaires

  1. That is the proper weblog for anybody who wants to seek out out about this topic. You realize so much its nearly onerous to argue with you (not that I really would need匟aHa). You undoubtedly put a brand new spin on a subject thats been written about for years. Great stuff, simply nice!

  2. Salut,
    Comme promis j’ai lu ton blog. Sur un sujet qui me plaisait. Le e-sport n’est pas du tout un sport physique à mes yeux mais seulement cérébral. De ce fait, je ne suis pas pour les voir aux JO. Sinon pourquoi ne pas inviter aux JO : les échecs, les dames, la belote….
    Sinon ton article est top et très complet. Au plaisir de te revoir.
    Cédric de la Préf.

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